Rue de Seine
Rue de Seine dix heures et demie
le soir
au coin d’une autre rue
un homme titube… un homme jeune
avec un chapeau
un imperméable
une femme le secoue…
elle le secoue
et elle lui parle
et il secoue la tête
son chapeau est tout de travers
et le chapeau de la femme s’apprête à tomber en arrière
ils sont très pâles tous les deux
l’homme certainement a envie de partir…
de disparaître… de mourir…
mais la femme a une furieuse envie de vivre
et sa voix
sa voix qui chuchote
on ne peut pas ne pas l’entendre
c’est une plainte…
un ordre…
un cri…
tellement avide cette voix…
et triste
et vivante…
un nouveau né malade qui grelotte sur une tombe
dans un cimetière l’hiver…
le cri d’un être les doigts pris dans la portière…
une chanson
une phrase
toujours la même
une phrase
répétée…
sans arrêt
sans réponse…
l’homme la regarde ses yeux tournent
il fait des gestes avec les bras
comme un noyé
et la phrase revient
rue de Seine au coin d’une autre rue
la femme continue
sans se lasser…
continue sa question inquiète
plaie impossible à panser
Pierre dis-moi la vérité
Pierre dis-moi la vérité
je veux tout savoir
dis-moi la vérité…
le chapeau de la femme tombe
Pierre je veux tout savoir
dis-moi la vérité…
question stupide et grandiose
Pierre ne sait que répondre
il est perdu
celui qui s’appelle Pierre…
il a un sourire que peut-être il voudrait tendre
et répète
Voyons calme toi tu es folle
mais il ne croit pas si bien dire
mais il ne voit pas
il ne peut pas voir comment
sa bouche d’homme est tordue par son sourire…
il étouffe
le monde se couche sur lui
et l’étouffe
il est prisonnier
coincé par ses promesses…
on lui demande des comptes…
en face de lui…
une machine à compter
une machine à écrire des lettres d’amour
une machine à souffrir
le saisit…
s’accroche à lui…
Pierre dis-moi la vérité
Jacques Prévert, Paroles, Paris, Gallimard, 1946.
ààààààààààààààààààààààààà
Rue de Seine dieci e mezza / di sera / all’angolo di un’altra strada / un uomo barcolla… un giovane / con un cappello / un impermeabile / una donna lo scuote… / lei lo scuote / e gli parla / e lui scuote la testa / il suo cappello è tutto storto / e il cappello della donna sta per cadere indietro / sono pallidissimi tutti e due / l’uomo di certo ha voglia di andare… / di sparire… di morire… / ma la donna ha una voglia furiosa di vivere / e la sua voce / la sua voce che sussurra / non la si può sentire / è un gemito… / un ordine… / un grido… / talmente avida quella voce… / e triste / e vivida… /un neonato malato che trema su una tomba / in un cimitero d’inverno… / il grido di chi ha le dita pestate da una porta… / una canzone / una frase / ripetuta… / di continuo / senza risposta… / l’uomo la guarda ruotano i suoi occhi / fa dei gesti con le braccia / come un annegato / e la frase ritorna / rue de Seine all’angolo di un’altra strada / la donna continua / senza stancarsi… / continua la sua domanda inquieta / piaga impossibile da medicare / Pierre dimmi la verità / Pierre dimmi la verità / voglio sapere tutto / dimmi la verità… / il cappello della donna cade / Pierre voglio sapere tutto / dimmi la verità… / domanda stupida e grandiosa / Pierre non sa che rispondere / è perso / quello che si chiama Pierre… / ha un sorriso che forse vorrebbe tenero / e ripete / Dai calmati tu sei pazza / ma non crede di dir bene / ma non vede / non può vedere come / la sua bocca d’uomo è storta dal suo sorriso… / soffoca / il mondo si stende su di lui / e lo soffoca / è prigioniero / inchiodato dalle sue promesse… / gli si chiede conto… / davanti a lui… / una macchina calcolatrice / una macchina per scrivere lettere d’amore / una macchine per soffrire / lo abbranca… / s’aggrappa a lui… / Pierre dimmi la verità.
traduzione di Marco Vignolo gargini